Nechirvan Barzani à la présidence du Kurdistan irakien : le renforcement de la domination du PDK
Le 28 mai 2019, suite à un vote du Parlement, Nechirvan Barzani a été élu président du Kurdistan irakien avec 68 voix sur 111. Après plus de 8 mois de tractations, il devient le 2ème président de cette entité politique autonome reconnue par la constitution irakienne depuis le 15 octobre 2005. Barzani va devoir faire face à de nombreux défis. Il devra notamment apaiser la vie politique kurde et renouer avec Bagdad, tout en faisant face aux fortes pressions internationales.
L’élection de Nechirvan Barzani : entre continuité et rupture
L’élection de Nechirvan Barzani à la présidence du Kurdistan irakien est le choix d’une rupture dans la continuité. Il y a continuité car Barzani fait partie du système politique kurde depuis 1991, et est donc ancré dans le cadre du système. Cette élection assoit d’ailleurs la domination du Parti démocratique du Kurdistan, qui s’était déjà manifestée lors des élections législatives fédérales de mai 2018 puis des législatives pour le Parlement local en septembre 2018. Depuis de nombreuses années, la famille Barzani a une influence majeure sur le jeu politique du Kurdistan irakien. Massoud Barzani, oncle de Nechirvan et ancien président, n’est pas seulement une figure tutélaire mais dispose d’une réelle influence. Lors de ses interventions, il ne se présente pas comme le président du PDK, mais comme la référence absolue de la question kurde en Irak et dans le monde. Il est le référentiel, celui qui intervient dans les moments difficiles. Aucune décision politique majeure ne saurait être prise sans passer par le filtre de Massoud Barzani. Il reste le chef naturel du Kurdistan irakien.
Les autorités du Kurdistan sont ainsi phagocytées par le clan de Barzani et donc par le parti-clan du PDK. La nomination future par Nechirvan Barzani de son cousin Masrour comme chef du gouvernement affirme le rôle prépondérant du PDK sur la vie politique, qui ne saurait se tarir dans les années futures.
Toutefois, une rupture est perceptible dans cette continuité. En effet, Nechirvan Barzani fait partie de la branche du PDK favorable à une ouverture sur le monde, à la modernisation, la libéralisation. Il souhaite également la normalisation des relations avec Bagdad, Ankara, ou encore Téhéran. Il est ainsi un représentant de la partie modérée du PDK. C’est pour cela qu’il est possible de parler d’une rupture dans la continuité.
Le déchirement de la maison kurde entre deux grands partis-clans
Le Kurdistan irakien est sujet aux conflictualités géopolitiques, culturelles et administratives. Celles-ci se sont cristallisées à travers l’opposition entre le PDK et l’UPK. Depuis 1991, le PDK gère le nord du Kurdistan irakien tandis que l’UPK domine le sud du Kurdistan irakien, et notamment la région de Kirkouk. Au dessus de cela, le nord est sous l’emprise de la Turquie alors que le sud est sous l’influence de l’Iran. Cette division administrative, politique et sociale est source de désaccords profonds. Ainsi, l’UPK et le PDK n’ont pas réussi à trouver de consensus concernant le poste du gouverneur de Kirkouk. De même, le poste de ministre de la Justice à Bagdad est toujours vacant puisque les deux partis-clans n’ont pas trouvé d’accord pour présenter un candidat unique. Le porte-parole de l’UPK, Cheikh Omar, a d’ailleurs déclaré que « le Parti démocratique du Kurdistan ne doit pas mettre sur la touche ou marginaliser d’autres partenaires politiques et prendre des décisions unilatérales ».
De plus, suite à la disparition de son leader Jalal Talabani en octobre 2017, l’UPK est traversé par des divisions profondes. Il n’y a plus de référentiel, de personnalité charismatique pour s’imposer dans ce parti. L’UPK est ainsi divisé en quatre branches, et le PDK ne sait plus à qui s’adresser. Aujourd’hui, l’UPK est dans l’incapacité de forger une politique et une vision commune vis-à-vis d’Erbil, de Bagdad, ou même à l’échelle internationale.
Les enjeux de la relation future entre l’Irak et le Kurdistan irakien
L’élection de Nechirvan Barzani pose aussi la question de la relation future d’Erbil avec Bagdad. Suite aux représailles du pouvoir irakien après le référendum d’autodétermination du Kurdistan irakien de septembre 2017, les désaccords sont en effet importants.
Toutefois, le président irakien Barham Saleh est d’origine kurde, ce qui peut être un facilitateur du renouement Irak/Kurdistan. Malgré cela, Saleh souffre d’un problème de légitimité. En effet, le gouvernement de Barzani ne le reconnaît pas comme le représentant du peuple kurde à Bagdad. Barzani a de meilleures relations avec le Premier ministre irakien Adel Abdel-Mehdi, qui est perçu comme un pro-kurde.
Le contact est néanmoins facilité, mais les dossiers de désaccords sont présents. Il est notamment question des ressources naturelles, du statut des Peshmergas et des territoires disputés entre Erbil et Bagdad. La légitimation du gouvernement de Nechirvan Barzani passera par le règlement de ces questions, qui risquent d’animer le débat politique dans les années futures.
Sources :
- « Netchirvan Barzani élu président du Kurdistan irakien, son clan maintient sa domination sur la région », Le Monde, 2019 (https://www.lemonde.fr/international/article/2019/05/28/netchirvan-barzani-elu-president-du-kurdistan-irakien_5468564_3210.html)
– « Irak – Kurdistan : quelle distance entre Bagdad et Erbil ? », France Culture, 2019 (https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-internationaux/les-enjeux-internationaux-emission-du-mercredi-29-mai-2019)